• "Le temps est un poison tellement délicieux.

    Le temps est un poison infiniment précieux."

     

     

     

    Sur la place du village ils ont un rendez-vous, rite ancien au banc qui les reçoit.

    Et tout au long du jour leurs mains – sarments noués – s'enroulent doucement,

    s'entrelacent ou se figent dans un silence d'écorces grises.

    Sous la peau parchemin, tendue aux arêtes des os,

    quelques braises rougeoient dans des creux où la vie, ralentie,

    bat encore au plus près de leur cœur.

    Le burin des années a taillé sur leurs joues des ombres de granit

    et figé à l'entour de leurs yeux un flot de rides tristes.

    Ces yeux, un peu trop bleus, errants dans un brouillard où l'instant s'évapore.

     

    Tandis que s'éternisent les coffres de mémoire où vivent-ils leur temps ?

    Si près de nous mais si près de cent ans.

    Peut-être en souvenirs – voyages incertains – témoins des jours heureux.

    Souvenirs de ces prés aux herbes écrasées dans les roulades de l'enfance,

    ivres de cris et d'insouciance.

    Souvenir de ce trouble regard, ce silence gêné,

    effacé d'un sourire à l'instant d'inventer la première caresse.

     

    Dans les feuillets du temps ils rêvent dans des lieux qui servent de repos aux mémoires anciennes.

    Dernier refuge pour ceux dont les chemins-haillons désertent le futur

    et chancellent trop près des limbes qui les espèrent.

    Leurs gestes économes au souffle fatigué d'une brise d'hiver,

    leurs sourires pensifs – nuages vaporeux – savent bien les adieux.

     

    Ils les attendent comme un dernier faux pas.

     

    Sanilhac 04.12.2017


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  •  

    J'aime les voyages, mais de celui-là je m'en serais passé.

     

    Heureusement j'étais bien accompagné.

     

    Nouveaux explorateurs

     

     

     

    Et le temps s'est enfui où l'on pouvait encore

     

    hésiter réfléchir

     

    se demander pourquoi

     

    se faire ouvrir en deux serait si important

     

    Et le temps est venu d'aller poser son corps

     

    aux frontières d'un monde

     

    où règne l'inconnu des terres inexplorées

     

    Aller frôler la mort

     

    Pour des explorateurs d'un continent nouveau peuplé d'incertitudes

     

    Accepter de dormir sans être vraiment sûr

     

    que l'éveil attendu sera au rendez-vous

     

    Implacable

     

    Le trait de la lame d'acier

     

    révélera l'envers du décor familier

     

    Montagnes irriguées de rivières vermeilles

     

    où nul soleil jamais n'effleura les vallées

     

    Alors

     

    Au bout des doigts des gestes magiciens

     

    rétabliront le cours des fleuves asséchés

     

    et leurs voies de rubis transporteront la vie

     

    qui s'épuisait déjà aux rives affaiblies

     

     

    Avoir frôlé la mort

     

    et puis renaître et vivre

     

     

    27 / 12 / 2015 .

     

     

     

     

     


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  •  

    Là-bas où j'ai rêvé.

     

    La côte des squelettes

     

     

    L'océan comme une huile

     

    Offre ses lames bleues au sable qui se noie

     

    sous les eaux de cristal

     

    Aux franges du désert l'onde et le grès s'animent

     

    Une étreinte lascive

     

    que le soleil sublime

     

    Ici

     

    la vie est née

     

    œuvre d'art avant l'art

     

    pour aimer le soleil sous les ondes trop froid

     

     

     

    Ici

     

    La vie se perd

     

    et ses os cathédrales défient les éléments

     

    près des navires échoués que la grève digère

     

    en un siècle patient

     

    ici

     

    la vie hésite

     

    elle erre quelquefois aux silences froissés

     

    quand l'aube n'ose pas effacer les ténèbres

     

     

     

    Le soir

     

    Une douceur orange inonde l'océan

     

    quand le soleil vaincu se dilue dans le bleu

     

     

    Mais la nuit en ces lieux ne triomphe jamais

     

    Si le jour s'évanouit

     

    c'est l'éclat des étoiles qui luciole les vagues de mille tremblements

     

     

     

    Du grand large s'élève un long soupir glacé

     

     

    Portée par des brumes légères

     

    une source de vie

     

    attendue au désert

     

    dont chaque grain aura son infime trésor

     

    Sa particule d'eau

     

     

     

    L'âpre vie du sous-sol n'attendait que cela

     

    Elle sort des terriers

     

    Le lézard

     

    L'araignée

     

    boivent cette rosée

     

    Puis l'un dévore l'autre

     

    et aux premiers rayons va dormir sous le sable

     

    Depuis des millions d'années

     

    L'ondulation des eaux quand le vent s'y repose

     

    Les battements de cœur du désert du Namib

     

     

     

     

     

     


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  •  

    Errances.

     

    A l'ombre des parfums je regarde aujourd'hui,

    quand mes mains se fissurent et j'écoute la vie.

    Celle qui durera l'espace d'un instant,

    ou bien l'éternité d'un fleuve de géants.

     

    Et la nuit m'ouvrira au désert de lumières

    qui enivrent les sols saturés d'aubes tendres.

    Un jour gris fermera l'inutile destin

    des ambres bleus noyés sous des eaux cimetières.

     

    Je remonte le temps, celui des cathédrales,

    quand je croyais mourir et que je visitais

    seulement le passé qui ronge mon futur.

     

    Des fleurs mauves s'étirent au bord de mes chemins,

    quand un neurone noir assassine les blancs.

    J'aime toujours autant quand je perds aux échecs.

     

     

    Si je perds aux échecs je suis curieux de voir

    la prochaine partie. Je relève des os

    que j'ai aimés un jour, pas si lointain d'ailleurs.

    Les années vont toujours chercher les souvenirs.

     

    Et le temps n'ose pas effacer la mémoire

    de granit effrité au fond des peurs enfouies.

    Les souvenirs sont ceux que nous savons garder.

    Une pierre qui pèse enfermée dans un os.

     

    Les souvenirs sont lourds quand je ferme les yeux.

    Dans une maison vide, sur un lit de hasard,

    un tremblement m'effraie et je sais bien pourquoi.

     

    Il me reste pourtant une lueur d'espoir,

    au bord de tes jardins peuplés de lueurs mauves,

    quand tu perds à la vie juste à côté de moi.

     

    Le temps est un échec que l'on suit pas à pas.

     

     

     


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  •  

    C'était mon père et nous ne nous sommes vraiment regardés que quelques jours avant sa mort, et encore comment en être vraiment sûr ?

    Tant d'indifférence depuis l'enfance ça pourrait s'estomper en quelques jours ?

    Les dernières années il avait dans le dos une douleur tenace qui le " tarabustait " : c'était son mot.

    Et une autre dans sa vie, de loin, peut-être sa jeunesse, qui le tarabustait aussi, mais de celle-là il ne parlait jamais et je ne l'ai comprise que bien plus tard.

    Ou plutôt il l'évoquait avec son père, qui fut aussi son "seul ami" et dans ces rares moments ses yeux filaient vers un monde étranger où lui seul se posait. Pudeur ? Repli sur soi ? Nous pensait-il indignes de confidences ?

     

    C'est dans son atelier où les draps d'araignées se couvraient de sciure que son trop peu de tendresse s'épuisait à frôler de vieux morceaux de bois – voyageurs exotiques – qui allaient devenir de superbes marqueteries. Mon frère trop petit n'y venait jamais, quant-à-moi, rarement admis dans cet antre étonnant je regardais surpris qu'une branche ordinaire puisse au cœur de son os cacher tant de trésors.

    De la caresse du polissage naissaient des paysages aux couleurs infinies. J'entendais quelquefois tomber un mot de sa grande carcasse. Pas souvent une phrase.

    Ça c'est du sipo, celui-là de l'acajou, là de l'ébène. Ça vient de loin, d'Afrique, celui-là du Brésil, un palissandre.

    Ces évocations de pays lointains me faisaient rêver et je partais chercher dans "l'encyclopédie pour tous", un des rares livres que nous possédions, le Congo, le Brésil et des iles perdues tant la Terre était grande.

    J'ai appris à aimer les morceaux d'arbres dans cette pièce encombrée où certains bois pouvaient dormir des décennies. Pour les arbres entiers c'est venu beaucoup plus tard. Beaucoup plus fort aussi.

    J'ai aussi appris les insectes, curieuses guêpes et autres abeilles solitaires qui venaient par le carreau cassé et creusaient dans les bois tendres la galerie de leur nid. Elles payaient souvent de leur vie leur audace. On le savait quand un nuage de poussière tombait mollement du plafond ou d'un mur, une vibration sonore réveillait Aglaé qui fondait sur sa proie.

    Oui j'aimais Aglaé pour dire araignée.

    J'ai dû à cet âge apprendre vite pour construire des souvenirs car les " temps d'atelier " n'ont pas été bien longs. Assez cependant pour comprendre que mes mains m'ouvriraient des horizons inattendus.

    A la maison c'était différent, les regards étaient durs, les silences fermés.

    Nos envies de rire ne duraient pas, il avait ce pouvoir d'éteindre les lueurs qui s'allument pour un rien dans les yeux des enfants ; un raclement de gorge, un soupir appuyé, le couteau sur la table qui claque trop fort, et on avait compris mon petit frère et moi qu'il fallait se calmer. Manger en silence.

    Infime notre mère servait le repas qui se terminait toujours par cette phrase :

    Bon, j'ai fini, donne-moi "la pomme".

    Ce n'était pas une pomme, non, c'était " la pomme". Toujours.

    Encore aujourd'hui ce fruit chargé du souvenir m'apparait teinté de mystère.

    A la maison le bonheur n'était pas au menu, pas plus que son contraire. On ne se posait pas de questions à son sujet mais on savait qu'ailleurs c'était mieux. Entre les murs nous étions seulement à l'abri de la pluie, de la faim et du froid.

    Suffisant pour la survie.

    A cette époque la résilience n'était pas dans les livres mais dans notre souplesse de roseaux. Les bourrasques paternelles pouvaient nous plier jusqu'à frôler le sol la moindre accalmie nous relevait, nous poussait au soleil. Indemnes.

    Alors sitôt fini le repas :

    vas-tu ?

    – Je vais dehors.

    Ce dehors où tout devenait possible était la délivrance.

    Nul ne nous en privait, heureusement, on a grandi avec les herbes sauvages. Les orties, les chardons ne nous piquaient même pas : L'entrainement sans doute et un peu de folie.

    Il y avait des oiseaux, des fleurs et des lézards dans chacun de nos jours et ceux de grande chance un renard s'invitait, un blaireau, une fouine...

    On en parlait longtemps avec force détails, échafaudions des plans pour retrouver l'animal fabuleux. L'attraper peut-être ! Le caresser et l'amener chez nous.

    – Sûrement pas ! Une saleté pareille, tout juste bon à voler des poules !

    Notre incompréhension se posait un instant au regard de maman, du battement de cils à la mimique triste elle savait sans un mot nous consoler, et un peu plus tard nous expliquer que tous les êtres privés de liberté finissent par mourir.

    – Mais alors le petit prince ?

    – Oui, mais c'est une belle histoire...

     

    Quatre ou cinq ans sont passés et on a appris que la douleur tenace était un cancer.

    Du poumon. Le plus vache.

    Quand ce cancer l'a eu un lundi de pentecôte, ce ne fut pas pour lui une grande victoire car la douleur d'enfance avait tué mon père depuis longtemps.

    Au bord du trou pas grand-monde, sa femme, ses enfants, notre demi-frère banni pas rancunier et quelques anonymes. Peu.

    Mais somme toute ce n'était pas si mal pour un mort-vivant de longue date.

    – On allait pouvoir apprivoiser un renard.

     

     


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  •  Confidences.

     

    Je suis de toutes les vies, quelques secondes où plusieurs siècles...

    Ici, ailleurs, dans d'autres galaxies...

     

     

    Sur votre planète j'ai tout exploré, des plus profondes grottes aux immenses sommets.

    Je me pose parfois dans des nuages flous en rêvant d'océans.

    Les déserts me désirent et, complice, je m'offre à leur aridité.

    Les forêts exilées se replient en silence si je les abandonne et quand l'hiver raidit sous l'écorce du gel, je l'accepte ; vaincue en larmes de cristal je songe au temps qui s'éternise.

    Si souvent je m'épuise au milieu de brasiers, je peux fuir par les airs et renaître plus loin, où je glisse : soyeux serpent de verre.

    Insaisissable, pas une de vos idées ne saurait m'enfermer.

    Si vous me convoitez je viens au cœur de vos atomes, je fouille votre intime, je suis votre survie.

    Ma mémoire connait les secrets de la vie : ce mystérieux pouvoir qui nous anime tous et que je véhicule de l'herbe à l'éléphant.

    Vous n'êtes pas nombreux à croire en mes pouvoirs et vous me condamnez aux plus basses besognes.

    Quand vos vies me polluent, ce désastre ne vous inquiète même pas.

    Regardez-moi

    Je renais de vos cendres et je fuis par des chemins secrets jusqu'au sang de la Terre : ces laves éternelles dans lesquelles je me noie pour des noces de feu.

    Ivre de liberté je me ressource au minéral liquide.

    Parfois sur mon parcours dans ce noir absolu surgissent des étoiles ; émeraudes, diamants, merveilles qui patientent des temps immémoriaux.

    Sous mes pulsions de vie je nourris leurs jardins puis je les abandonne, éclatants, à leur éternité.

    Ma fuite se poursuit encore plus profond pour finir dans des lacs sombres et immobiles.

    D'immenses lacs de paix.

     

    Quand vous disparaitrez je serai toujours là, vivante et cristalline aux aquifères profonds.

     

     

     

     


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